Anges de Racine
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Lecture raisonnée

Extrait de Boyer, C. (2010). Le programme orthopédagogique DIR en lecture. Montréal: Éditions de l’Apprentissage.

© Éditions de l'Apprentissage et Christian Boyer


Annexe H

La Lecture raisonnée

La Lecture raisonnée est une des activités les plus importantes dans l’ensemble de mes programmes. C’est une activité d’auto­raisonnement primordiale. Cette activité s’appuie sur les travaux de plusieurs chercheurs (Collins, 1991; Duffy et al., 1987; Lysynchuk et al., 1990; Kincade et Beach, 1996; Klingner et Vaugh, 1996; Palincsar et Brown, 1984; Pressley, 2000). C’est par cette activité que la nature profonde de la lecture est explicitée aux élèves. La mise en application de la Lecture raisonnée nécessite le recours à des textes consistants et intéressants. Cette activité requiert des romans et des ouvrages informatifs (un exemplaire du même ouvrage pour chaque élève).

À l’origine1, la Lecture raisonnée s’appelait la Lecture par paragraphes (Boyer, 1993) et découlait partiellement de l’Enseignement réciproque (Reciprocal Teaching) de Palincsar et Brown (1984). L’Enseignement réciproque possède des accointances avec la vision de l’apprentissage du psychologue russe Vygotski (1978) qui considère que l’apprentissage est, entre autres, le fruit d’un processus d’interactions sociales. Dans cet esprit, l’Enseignement réciproque est une activité de discussion de groupe qui structure les échanges entre les élèves et l’enseignant reliés à la lecture d’un texte. Les élèves et l’enseignant discutent en prédisant, en clarifiant, en questionnant et en résumant des passages lus.

La Lecture raisonnée est devenue une activité qui tente de rendre visibles les réactions et les raisonnements internes du lecteur accompli, en cours de lecture. La Lecture raisonnée emprunte une partie de la structure des échanges de l’Enseignement réciproque, mais s’inspire plus fortement des travaux et réflexions de Collins (1991), Duffy et al. (1987) et Pressley (1994, 2000). La Lecture raisonnée comprend quatre catégories de raisonnement: prédire, élaborer, faire une mise au point et se remémorer. La Lecture raisonnée qui, quand, où, comment est une variante de la Lecture raisonnée qui est habituellement introduite plus tard et qui intègre l’habileté à générer et à répondre à des questions littérales et inférentielles. Les objectifs de la Lecture raisonnée sont d’arriver à ce que 1) les enfants raisonnent en lisant sans l’incitation de l’enseignant (sans indices) et 2) qu’ils soient aptes à identifier les types de raisonnement qu’ils produisent.

Narration brève de la démarche

Après avoir présenté rapidement aux élèves les différents types de raisonnements, l’enseignant commence l’activité en lisant lentement une section du livre à l’étude. Il s’arrête régulièrement pour faire part aux élèves des raisonnements qui lui viennent à l’esprit au cours de sa lecture. Chaque type de raisonnement est identifié parmi les quatre catégories de base: prédire, élaborer, faire une mise au point et se remémorer.

L’habileté à prédire consiste à déduire la suite du texte en termes d’actions. La prédiction doit toujours être explicitement justifiée par des indices du texte. Une prédiction non appuyée ou non justifiable n’est pas recevable. L’habileté à élaborer se définit par la création de liens entre des informations du texte (déduire, extrapoler, juger, etc.) sans que le résultat de ce raisonnement prédise la suite du texte en termes d’actions. L’élaboration doit également être expliquée et motivée d’une manière justifiable. L’habileté à faire une mise au point suppose, dans un premier temps, que le lecteur constate qu’il a un bris de compréhension, donc qu’il ne comprend pas. Dans un deuxième temps, le lecteur doit pouvoir identifier la source de cette incompréhension (types d’incompréhension: un mot, une expression ou une métaphore, la syntaxe de la phrase et où l’auteur s’en va). Troisièmement, à la suite de l’identification du bris de compréhension, une stratégie doit être adoptée afin de formuler une hypothèse rétablissant sa compréhension. Les stratégies employées sont: analyser le mot (petit mot dans le grand mot ou grand mot dans le petit mot), lire avant et après (restructurer ou segmenter différemment la phrase au besoin), faire le cinéma les yeux ouverts (utiliser l’illustration disponible, si elle est pertinente) ou les yeux fermés (visualisation de la situation) et faire une analogie. L’habileté à se remémorer diffère selon le type de texte et l’intention de lecture. Lorsque le texte est de type informatif et/ou que l’intention de lecture est d’apprendre ou de se souvenir avec précision où sont les différentes informations dans le texte, on utilise la remémoration par la prise de notes (de un à cinq mots) directement sur le texte ou sur des papillotes mobiles accolées au texte. La fréquence de remémoration est plus élevée dans ces conditions. Lorsque le texte est de type narratif et/ou que la lecture du texte ne demande pas un traitement méticuleux des informations, la remémoration se limite à résumer verbalement en moins de 10 secondes les principales informations que l’on juge pertinentes avant de commencer la lecture ou à la fin de la lecture.

Chacune des habiletés doit être modelée par l’enseignant à plusieurs reprises au cours de l’année. Les élèves doivent suivre la lecture en tout temps, l’enseignant pouvant nommer à n’importe quel moment un élève qui devra lire le mot qui suit le dernier qui a été lu (le relais-mot). La contribution des élèves est sollicitée dès le début pour qu’ils identifient un type de raisonnement fait par l’enseignant ou un élève et pour qu’ils fassent part au groupe de leurs propres raisonnements en les justifiant. La justification des raisonnements, en tout temps, est un élément essentiel à développer. Rapidement, mais selon la progression des élèves, l’enseignant leur remettra la responsabilité de l’activité en partie ou entièrement, ce qui inclut le raisonnement et l’oralisation du texte. En assumant intégralement l’oralisation du texte au départ (mais les élèves doivent suivre; vérification avec le relais-mot), l’enseignant simplifie la tâche et permet aux élèves de mieux se concentrer sur les raisonnements qu’il fait et, ultimement, facilite le développement de leurs propres raisonnements. Lorsqu’un élève a la responsabilité de faire la lecture (lentement) et de partager ses raisonnements, la contribution des autres élèves et de l’enseignant est maintenue.

Le droit de parole n’est pas automatique et c’est l’enseignant qui gère ce droit. Les élèves indiquent qu’il se passe quelque chose dans leur tête en levant la main. La main ouverte signifie que l’élève a une prédiction, une élaboration ou une remémoration à faire. Si le poing est fermé, cela signifie que l’élève a un bris de compréhension. Le choix de donner ou non le droit de parole dépend de plusieurs facteurs, entre autres le nombre d’arrêts déjà faits, le niveau de participation de certains élèves et si le passage sera traité par une question ou une consigne ultérieure. Lorsque les élèves lèvent la main, ils doivent apprendre à continuer à suivre en même temps et à baisser la main après trois secondes s’ils n’ont pas eu la parole.

Quand les élèves sont habiles à raisonner en lisant, on introduit l’activité Lecture raisonnée qui, quand, où, comment et, dans les jours qui suivent, on peut planifier promptement la division de la classe en équipes pour accomplir cette activité.

Plusieurs élèves en difficulté d’apprentissage sont disposés à faire les efforts nécessaires pour progresser, mais ne comprennent pas clairement ce qu’ils ont à faire, comment ils doivent le faire, pourquoi ils doivent le faire et quand ils doivent le faire. Il faut réaliser que ce que nous demandons aux élèves d’apprendre, ce sont des actes cognitifs qu’ils ne peuvent généralement pas observer autour d’eux (exemples : raisonner en lisant, comprendre une question, faire une inférence, se dépanner devant un bris de compréhension, etc.). Les enfants peuvent à l’occasion voir le résultat de ces actes cognitifs, mais très rarement le processus sous-jacent en action. Comme professionnels de l’éducation, nous devons constamment tenter de réduire l’opacité de ce que nous leur demandons. La Lecture raisonnée est une activité d’Enseignement explicite qui offre une vision claire de ce qu’est lire et de ce que les enfants doivent développer.

1. Mesdames Linda Roy, Linda Beauvais et Claudette Martin ont contribué au développement initial de cette activité.


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